Tremblements dans les Services financiers [L’Agefi]
La branche d’EY aux Etats-Unis a reconnu avoir pris la décision de se séparer de 3.000 collaborateurs environ. En valeur relative, nuance le «Big Four», cela correspond à moins de 5% de ses effectifs locaux. Une décision «difficile mais nécessaire», étant donné «les vents contraires sur notre activité», précise une note interne. De fait, selon ce document, les suppressions de postes toucheront essentiellement le conseil, en stratégie ou en transactions comme en ressources humaines. Promis, ajoute une note d’EY aux médias, «cette décision fait partie de la gestion courante de nos activités et n’est pas le résultat de la récente revue stratégique connue sous le nom de Projet Everest». Projet abandonné de scission des activités de conseil et d’audit. Un retour au camp de base qui laisse triompher les tenants du modèle pluridisciplinaire.
Alors que l’audit est souvent vu comme peu dynamique, il offre tout de même l’atout d’une activité récurrente car réglementaire, quand les revenus du conseil sont plus volatils. Comme en attestent les «vents contraires» subis par EY : si la crise pandémique a dynamisé l’activité, correspondant au recrutement de nombreux consultants, l’euphorie a fait long feu, par exemple en conseil en fusions-acquisitions avec la remontée des taux. Malgré des actions préventives pour limiter l’ampleur des suppressions, plaide la note interne d’EY, «nous devons maintenant agir comme des dizaines d’autres sociétés l’ont fait dans les derniers mois». KPMG aurait ainsi décidé de se séparer de 2% de ses effectifs aux Etats-Unis, et Accenture comme McKinsey de près de 3% à l’échelle mondiale.
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Mais alors, quid de l’ambiance de ce côté-ci de l’Atlantique ? «Je ne suis pas certain que le climat des Etats-Unis, symbolisé par les licenciements annoncés par EY, se répercute en France», estime Harold Valat, associé au sein de Vauban Executive Search, chasseur de têtes spécialiste des services financiers. «Il y a ici une telle pénurie de compétences, le marché en est structurellement déficitaire», précise-t-il. Les cabinets d’audit et de conseil «ont déjà du mal à recruter, ils ne sont plus une voie royale de carrière, ils ne peuvent simplement pas se permettre des vagues conséquentes de licenciements».
A la lumière de l’annonce d’EY aux Etats-Unis, la question de l’emploi dans le conseil «est un sujet qui commence à tarauder beaucoup d’entre nous», confie un cadre d’un des Big Four dans le conseil en France. Et «il est possible que cela touche notre pays, mais de façon ciblée sur certaines expertises», estime-t-il. Pour l’heure, nuance ce consultant, aucune suppression de postes en France à l’horizon, y compris chez EY. Pour autant, il reconnaît : «Nous commençons à sentir que nous sommes en haut d’un cycle», même si son cabinet est «encore très confiant sur les perspectives de croissance à court terme».
Pertes naturelles
Aux yeux de notre cadre d’un Big Four, la situation sur le front de l’emploi «est encore exceptionnelle, elle a toujours un temps de décalage par rapport à l’activité économique». Aujourd’hui, les cabinets «préfèrent se donner les moyens de conserver certains talents, de peur qu’ils ne leur manquent lorsque l’activité va repartir plus vivement». Le consultant se dit actuellement courtisé par plusieurs cabinets concurrents et être «en position de force» : «On m’a proposé plus que ce que je demandais.»
Harold Valat, chez Vauban, note que l’audit comme le conseil «constituent pour nous un formidable terrain de chasse, un profond vivier, les cabinets sont souvent une école de formation pour un talent sollicité après quelques saisons par le monde de l’entreprise». Les cabinets souffrent donc de pertes importantes, d’autant que, naturellement, bien peu de jeunes entrants finiront associés. Dans sa note interne confessant la vague de licenciements à venir, EY n’en cite pas moins, parmi les arguments, un «taux élevé de rétention des salariés», comme si le projet Everest n’avait pas éveillé trop d’envies de départ. Enfin, observe l’associé de Vauban, ces pertes sont accentuées «car les talents sont toujours plus gênés du fait que, bien souvent, les centres de décision sont anglo-saxons, la France n’est pas le centre du monde». Elle n’est pas à l’abri non plus de vagues venant de l’autre côté d’un océan.
Benoît Menou, journaliste à L’Agefi
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