Recrutement : trouver des solutions pour élargir le sourcing dans la Santé [BiotechFinances ]

BIOTECHFINANCES N°990 / juin 2022. Relocalisations industrielles, évolutions règlementaires, innovations nécessitant des doubles compétences… Les sources de tension se multiplient sur le marché de l’emploi dans le secteur des sciences de la vie. Le sujet devenant plus que jamais stratégique pour les big pharma comme pour les start-ups, les cabinets spécialisés cherchent les moyens de contourner les difficultés.

Les difficultés de recrutement, pourtant anciennes dans les sciences de la vie, pourraient-elles devenir un frein au développement des entreprises du secteur ? « La crise du Covid-19 et les risques de pénurie de certains produits pharmaceutiques ont mis en lumière le besoin de sécuriser en France ou en Europe la fabrication de principes actifs ou de médicaments, expliquent les auteurs de l’étude Michael Page pour 2022 du marché de l’emploi du secteur. De nombreux projets de relocalisation ont déjà été initiés avec le soutien de l’Etat, ce qui relance des recrutements massifs sur tout le territoire ». Selon le cabinet, cette crise a également conduit de nouvelles entreprises à se lancer dans la fabrication de dispositifs médicaux ou d’autres, étrangères, à tenter de conquérir ce marché français. Avec pour conséquence une concurrence accrue pour le recrutement de talents.

Pour Harold Valat, associé du cabinet Vauban, « l’industrie pharmaceutique au sens large » est affectée par ces tensions : « Les laboratoires pharmaceutiques classiques, les biotechs, les façonniers, les CRO, les CDMO, le medical device, les medtechs, traversent une pénurie de compétences, à laquelle l’innovation et les mutations permanentes du secteur s’ajoutent ». Les postes de production sont touchés, entre autres dans un marché du façonnage en pleine transformation, note-t-il. Quant aux niveaux supérieurs, « le plein emploi des cadres dans à peu près tous les secteurs, en ce moment, vient augmenter la problématique ».

Crise en qualité et affaires réglementaires

Les métiers de la qualité sont particulièrement concernés, « dans tous les domaines et depuis des années », assure Alexandre Kolow, manager de la business unit Health Care du cabinet Persuaders. Mais pour Emmanuel Hervio, practice manager chez Michael Page, «la relocalisation de sites en France et l’intensification de la production sur tout le territoire européen accroissent encore les besoins, mais le vivier de candidats disponibles, mobiles et ayant la bonne formation est largement insuffisant ». C’est aussi l’avis d’Alexandre Kolow, qui élargit donc le sourcing à des professionnels d’autres secteurs très normés, comme l’aéronautique et l’automobile.

Mais cette solution n’est pas envisageable pour les métiers des affaires règlementaires, où « il faut vraiment être du secteur des life sciences », assure-t-il. Or du fait de l’entrée en application du nouveau règlement européen relatif aux dispositifs médicaux, le 26 mai 2021, nombre d’acteurs du marché cherchent à recruter aussi dans ce domaine, soit pour assurer le suivi de leurs produits déjà sur le marché, soit pour intégrer ces compétences dès la conception. Or, là encore, regrette-t-il, « on ne forme pas assez de personnes et celles qui le sont déjà doivent mettre à jour leurs connaissances ».

Une autre source de tensions est l’émergence de nouveaux besoins de recrutement, plus complexes.

Selon Emmanuel Hervio, la fonction de field service engineer qui consiste à installer un matériel et à former ses utilisateurs, nécessite ainsi de plus en plus de compétences techniques : « Tout est connecté et en réseau, explique-t-il. Lors du dernier salon Santé Expo, un contact me confirmait que des mises à jour permanentes des connaissances sont nécessaires, tant la technologie évolue plus vite que les formations ». Mais c’est surtout le développement de l’intelligence artificielle qui « a fait naître une multitude de nouveaux métiers, note Harold Valat. De nouveaux profils sont arrivés sur le marché, notamment des experts avec des doubles – voire triples – compétences scientifiques, sur les plans biologique et informatique ». Or ces personnes, susceptibles d’être à la fois spécialistes, par exemple de la biologie moléculaire, cite Alexandre Kolow, et capables de gérer des données et algorithmes sont très rares. « On va vers des métiers qui, pourtant, nécessitent de combiner ces deux types de compétences, assure-t-il, notamment dans les petites structures. Mais pour l’heure, les experts de chacun de ces domaines ne parlent pas la même langue et aucune formation ne forme à l’ensemble ». La solution, pour le consultant : « Aller chercher un docteur, en l’occurrence en biologie moléculaire, dont on perçoit des signaux faibles de compétences en informatique, comme une expérience de quelques années à un poste en rapport avec l’IA ». Pour peu qu’il ait l’envie de renforcer ce deuxième volet, celui-ci pourra être une bonne recrue.

Repérer les « signaux faibles »

Une autre double compétence est particulièrement recherchée : un « profil scientifique avec une vision très orientée business est excessivement complexe à trouver, explique Harold Valat. Le marché fait alors souvent appel à des cabinets spécialisés en life sciences ». Les start-ups du secteur ont besoin de ces business developers « dès avant la commercialisation », confirme Alexandre Kolow. Mais s’il y en a beaucoup sur le marché, peu sont réellement bons en commerce et marketing et capables de comprendre le produit et l’éco-système ». Plutôt que chercher en vain le « mouton à cinq pattes », mieux vaut donc, selon lui, repérer un expert technique « dont l’expérience laisse penser qu’il a la capacité à acquérir des compétences commerciales » ou, à défaut, un spécialiste du business development « mais qui a tellement évolué dans des entreprises de hautes technologies qu’il aura la capacité d’en comprendre une nouvelle ».

« Les candidats connaissent cette situation et sont de plus en plus exigeants et sélectifs, observe Emmanuel Hervio. Ce qui fait la différence, c’est l’adaptabilité des entreprises ». Selon lui, pour peu que celles-ci acceptent une certaine flexibilité – par exemple par le télétravail et la possibilité de vivre loin ou non de son lieu de travail -, le vivier peut s’élargir. Mais il reste prudent : « Nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises : si une grande entreprise pharmaceutique se mettait à proposer la semaine de 4 jours pour être plus attractive, les plus petites structures ne pourraient pas suivre… ».

Véronique Vigne-Lepage
journaliste pôle Économie BiotechFinances
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